Dis-moi dix mots

En juin 2017, j’ai été contacté par la Bibliothèque départementale de la Somme pour animer des ateliers d’écriture en partenariat avec quatre bibliothèques du réseau, dans le cadre de l’opération Dis-moi dix mots, proposée par le Ministère de la Culture.

La Somme (en Picardie) fait partie des départements français les plus touchés par l’illettrisme. L’idée était de me faire intervenir auprès de publics ayant des difficultés d’apprentissage de la lecture (et de l’écriture), qui ne sont pas, en général, la cible prioritaire des bibliothèques : classes ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire) pour des élèves en situation de handicap, classes SEGPA (sections d’enseignement général et professionnel adapté) en collège, enfants et adolescents en IME, adultes handicapés en foyers de vie ou foyers d’accueil médicalisés ; des publics que je connais peu, même si j’ai déjà eu l’occasion d’intervenir auprès de classes ULIS notamment.

Pour ces publics, David, le responsable de projet à la Bibliothèque départementale, souhaitait que les ateliers d’écriture tournent autour des jeux sur la langue. C’est pourquoi il avait fait appel à moi. Cela peut sembler paradoxal de vouloir jouer avec la langue avec ceux qui ne la maîtrisent pas. Mais n’est-ce pas aussi la meilleure façon de donner envie d’écrire que de s’amuser avec les mots ?

David m’a demandé de prévoir deux séances de heures, espacées d’une quinzaine de jours, pour les huit groupes qui seraient sollicités par les bibliothèques partenaires. Ce qui représentait pour moi deux « tournées » de quatre jours dans la Somme en janvier et février 2018. L’atelier d’écriture s’appuyait sur des jeux oulipiens (lipogrammes, homéotéleutes…) et diverses formes poétiques (acrostiches, haïkus…), et tournait autour des dix mots de l’opération Dis-moi dix mots sur tous les tons  : « bagou », « griot », « voix », « accent », « jactance », « truculent », « volubile », « susurrer », « placoter »,« ohé ! ».

 

De manière générale, j’ai nettement sous-estimé le temps nécessaire à chacun pour intégrer les consignes d’écriture, trouver des idées, écrire ses textes et les lire au groupe. Le nombre de jeux que j’ai pu proposer au cours d’une séance a beaucoup varié selon les groupes. Il a fallu à chaque fois que j’adapte mon contenu. Que je privilégie, pour certains groupes, les jeux collectifs au paperboard par rapport aux jeux d’écriture individuels que je proposais dans d’autres groupes.

En effet, certains participants, enfants ou adultes, ne savaient pas écrire, et il fallait prendre leur texte sous la dictée. Ces mêmes  participants avaient beaucoup de mal à lire leurs textes (à déchiffrer les mots et/ou à se faire comprendre), on le faisait pour eux. Heureusement, je n’étais pas seul ! J’étais épaulé par David, le responsable du projet, et par les bibliothécaires et les personnels spécialisés.

Par rapport au travail de préparation fourni et à l’énergie dépensée, j’ai pu connaître, lors de certains ateliers, un peu de frustration ou de découragement. C’est pourquoi sans doute j’ai particulièrement apprécié cette séance, à la bibliothèque d’Ault, en fin de semaine, où les jeunes retraitées de l’Éducation nationale qui y participaient, férues d’ateliers d’écriture, ont fait honneur à mes explications et à mes consignes pour produire des textes inspirés… Cela m’a en outre confirmé que l’atelier d’écriture, tel que je l’avais conçu, pouvait s’adresser à tous les publics. Peut-être aurai-je un jour l’occasion de réexploiter mon travail ?

 

Si ces ateliers ont été parfois éprouvants, j’ai été largement payé de mes efforts en sourires, en regards et même en câlins ! J’emporte aussi avec moi le rire sonore de Pascal, accompagné de vigoureux frottements de mains, à l’évocation de ces petits riens de la vie qui font tout.

Je ne sais pas ce que les enfants et les adultes que j’ai rencontrés retiendront de ces deux séances ? Quels mots ils se rappelleront, quels jeux les auront marqués ? Peut-être seulement l’attention que je leur ai accordée, ma bienveillance à leur égard ou ces bonnes tranches de rigolade, autour des mots, que nous avons partagées…

« Quand est-ce que tu reviens ? », « quand est-ce qu’on se revoit ? »
Certains auraient souhaité prolonger l’atelier d’écriture. C’est sans doute ma plus belle récompense !